Jénine, le 24 février 2025, WAFA-
Par Zahran Maali
Dans la zone de Jaberiyat, surplombant le camp de réfugiés de Jénine au nord de la Cisjordanie, qui est devenu un théâtre d’opérations pour l’armée d’occupation israélienne dans le cadre de son offensive militaire depuis 35 jours, trois chars « Merkava 4 » sont stationnés depuis plus de 24 heures. C’est la première fois que de tels véhicules sont déployés depuis l’invasion des centres-villes palestiniens lors de la deuxième Intifada en 2002.
Depuis le 21 janvier dernier, l’armée d’occupation israélienne mène une offensive contre les villes et camps du nord de la Cisjordanie, ciblant notamment les gouvernorats de Jénine, Tulkarem et Tubas. Selon le ministère de la Santé, cette offensive a entraîné la mort de 61 Palestiniens, dont des femmes et des enfants, le déplacement forcé de plus de 40 000 personnes et la destruction de centaines de maisons et d’infrastructures.
Cette nouvelle escalade survient dans un contexte de déclarations de ministres du gouvernement israélien prônant l’annexion de la Cisjordanie. Parmi eux, le ministre des Finances d’extrême droite Bezalel Smotrich et le ministre de l’armée, Yisrael Katz, qui a ordonné à l’armée de maintenir une présence permanente dans les camps ciblés, d’empêcher le retour des déplacés et d’intensifier les opérations militaires en Cisjordanie.
Des analystes politiques estiment que l’élargissement de l’offensive israélienne en Cisjordanie s’inscrit dans une logique de démonstration de force et vise à imposer une nouvelle réalité pour atteindre des objectifs politiques.
Ayman Youssef, professeur de relations internationales à l’Université arabe américaine, souligne que l’entrée des chars israéliens dans Jénine relève davantage d’une mise en scène qu’une nécessité militaire. Selon lui, l’armée israélienne est parfaitement consciente que ces chars n’ont pas d’objectif militaire clair, ce qui pourrait indiquer son intention de rester à Jénine pour une période prolongée.
Il ajoute que cette incursion vise également à étendre l’offensive aux zones rurales de Jénine, où les localités de Qabatiya, Ya’bad et Silat al-Harithiya subissent déjà des incursions répétées. L’agression pourrait par ailleurs s’étendre à d’autres régions.
Dans une interview avec WAFA, Youssef estime que cette expansion de l’opération militaire au-delà de Jénine, Tulkarem et Tubas pourrait aboutir à une invasion plus large de Naplouse dans les prochains jours. Il explique que cette stratégie vise à satisfaire l’extrême droite israélienne, représentée notamment par Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich, tout en compromettant toute possibilité d’un État palestinien géographiquement contigu, transformant ainsi la Cisjordanie en une série d’enclaves isolées.
De son côté, Ahmad Rafiq Awad, président du Centre d’études de Jérusalem affilié à l'Université d’Al-Quds, affirme à WAFA que ce qui se passe n’est pas une simple démonstration de force, d’autant plus que les crimes commis par l’État d’occupation dans sa guerre d’extermination à Gaza suffisent déjà à illustrer sa puissance militaire.
Il ajoute qu’Israël cherche la guerre dans le nord de la Cisjordanie pour plusieurs raisons, notamment pour offrir une concession politique aux partenaires de la coalition d’extrême droite au pouvoir. En outre, cette offensive s’inscrit dans une stratégie visant à préparer l’annexion des territoires, à affaiblir l’Autorité palestinienne, à enterrer la solution à deux États et à démanteler les camps de réfugiés en les intégrant administrativement et légalement aux villes environnantes. Cela permettrait d’effacer leur symbolisme en tant que témoins du déplacement forcé des Palestiniens, surtout après l’attaque israélienne contre l’UNRWA, l’agence des Nations Unies en charge des réfugiés palestiniens.
Awad souligne que les événements en cours dans le nord de la Cisjordanie montrent qu’Israël cherche à déclencher une véritable guerre et à atteindre ses objectifs politiques sous le silence complice de la communauté internationale. Il explique qu’Israël mène une guerre et tente de la présenter au public israélien comme un véritable conflit, alors qu’il s’agit avant tout d’une guerre politique.
Concernant les déclarations du ministre israélien de l’armée, Awad les qualifie de dangereuses et inquiétantes, car elles confirment l’intention d’Israël d’annexer la Cisjordanie et de proclamer sa souveraineté sur ces territoires, en commençant par le nord avant de s’étendre potentiellement au centre et au sud.
Il poursuit en expliquant qu’en raison de la situation politique et économique actuelle en Cisjordanie, il n’existe pas de véritable infrastructure militaire palestinienne pour faire face à cette offensive sur le plan militaire. Toutefois, il estime que la riposte doit être politique et diplomatique, en refusant de céder aux objectifs israéliens.
Il ajoute qu’en poussant ses chars à Jénine, Israël cherche à provoquer une réponse armée afin de justifier l’usage de ses blindés. Il conclut : « Après ce qui s’est passé à Gaza et dans le nord de la Cisjordanie, ainsi qu’au vu de la mentalité de l’armée israélienne, je pense que la réaction populaire doit être extrêmement calculée, précise et prudente. »
Enfin, il insiste sur la nécessité, pour les Palestiniens, de tenir bon sur leur terre, tout en appelant à la formation d’un front arabe et international pour isoler Israël sur la scène mondiale et prouver que ses actions sont illégales et en contradiction avec le droit international.
Dans ce contexte, Le porte-parole officiel de la présidence, Nabil Abu Rudeineh, a mis en garde contre l'escalade destructrice de l'agression des forces d'occupation israéliennes dans le nord de la Cisjordanie, qui se traduit par le déplacement forcé de 40 000 Palestiniens de leurs lieux de résidence, la destruction de maisons et de quartiers, ainsi que la démolition systématique des infrastructures, notamment dans les villes de Jénine et son camp, Tulkarem et ses camps de réfugiés, Tubas et Al-Far’a. Cette escalade s'accompagne également de menaces de reprise de la guerre dans la bande de Gaza.
Il a ajouté : « Nous avertissons du danger que représente la poursuite par les autorités d'occupation des crimes de génocide qu'elles ont commencés dans la bande de Gaza, cette fois en Cisjordanie, à travers des incursions dans les villes, villages et camps palestiniens, l'assassinat et l'arrestation de citoyens, la destruction des villes et des camps, ainsi que la poursuite de la colonisation, des tentatives d'annexion et d'expansion raciste, isolant ainsi les zones palestiniennes les unes des autres. »
Abu Rudeineh a poursuivi en déclarant : « Nous demandons à l'administration américaine d'obliger l'État occupant à cesser immédiatement son agression contre les villes de Cisjordanie et à instaurer un cessez-le-feu durable dans la bande de Gaza, si elle veut éviter davantage de tensions et d'escalade dans la région. Sinon, l'alternative sera un chaos persistant et des guerres sans fin. »
Le porte-parole officiel de la présidence a réaffirmé que l'avenir de la Palestine sera décidé par le peuple palestinien lui-même, en toute indépendance nationale, avec l'approbation de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) pour toute solution. Il a également insisté sur le fait que les Palestiniens ne céderont pas à l'idée d'un « pays de substitution », au déplacement forcé, ni à un État sans Jérusalem.
Le ministère des Affaires étrangères et des Expatriés a également mis en garde contre le déploiement de chars lourds par l’armée d’occupation aux abords de Jénine, estimant qu’il s’agit d’un prélude à une intensification de l’agression et à une expansion des crimes perpétrés contre le peuple palestinien, en particulier dans le nord de la Cisjordanie et ses camps de réfugiés.
Cette mise en garde intervient alors que le ministre israélien de l’Armée s’est vanté publiquement du fait que son armée empêcherait le retour des habitants déplacés vers leurs camps et a donné l’ordre aux forces d’occupation de maintenir leur présence pour une période prolongée.
Dans un communiqué, le ministère palestinien des Affaires étrangères a dénoncé les déclarations de Yisrael Katz, l’arrivée des chars ainsi que l’intimidation des civils palestiniens sans défense par des menaces explicites d’usage de la force, y voyant une dangereuse escalade de la situation en Cisjordanie et une tentative flagrante d’imposer une politique de guerre d’extermination et de déplacement forcé contre un peuple sans défense.
Le ministère a insisté sur l’urgence d’une intervention de la communauté internationale afin de freiner cette agression incontrôlée, qui viole toutes les lois et accords internationaux, et d’exiger qu’Israël mette fin à son offensive contre le peuple palestinien et ses droits fondamentaux, à commencer par son droit à rester sur sa terre.
H.A