Accueil Rapports et Enquêtes 02/June/2024 09:09 AM

C'est ainsi que les Palestiniens perdent patience et espoir

C'est ainsi que les Palestiniens perdent patience et espoir

Par Jameel Dababat

« La saison des pastèques approche| », a déclaré avec passion le 22 mai dernier, l’agriculteur palestinien Mohammad Abu Mutawa, devant un groupe d'hommes dans le bâtiment du conseil du village d’Ain al-Bayda, à l’extrême nord-est de la Cisjordanie, où la saison agricole est exposée à de nombreuses pierres d'achoppement.

« Ils (les israéliens) ont pris nos sources d’eau », a-t-il ajouté.

En accompagnant notre correspondant dans la région de Khirbet al-Deir, Abu Mutawa a expliqué que les températures élevées, les précipitations irrégulières, l'impossibilité de construire des barrages dans la région de la vallée du Jourdain et les méthodes d’irrigation obsolètes ont provoqué une forte baisse de la quantité d’eau au cours des dernières années.

Mais la situation, déjà dangereuse en raison des facteurs susmentionnés, est devenue encore plus critique aujourd'hui en raison des pressions et des actes de violence continues des colons israéliens.

Pour Abu Mutawa, il doit désormais réserver l'eau de source dans des réservoires en ciment et en terre pour pouvoir irriguer ses terres, mais les sources d’eau sont devenues un point de conflit acharné avec les colons qui les utilisent pour nager.

A l’extrême nord-est de la Cisjordanie, les Palestiniens ont vécu autrefois comme producteurs de blé, puis comme cow-boys locaux, puis ces dernières années comme rois des producteurs de pastèques et de mini-concombres.

« Beaucoup d'entre eux ont choisi ces emplois avec courage et détermination à une époque où la pénurie de population et le vide géographique fatal du prochain État indépendant n’étaient pas aussi visible qu’aujourd’hui ».

C’est ainsi qu’il est possible de raconter la vie de cette région, avant les plans coloniaux racistes qui ont commencé à apparaître avec le début de la colonisation israélienne après 1967 et ont atteint leur apogée au cours des derniers mois.

Depuis des mois, l’agriculteur Abu Mutawa a commencé à perdre une source d’eau une  après  l'autre. « Les colons ont pris 10 sources. Ils ont d'abord installé des balançoires autour d'elles, puis ils ont saisi les moteurs de pompage d'eau et les ont jetés à l'eau », a-t-il expliqué.

Les appels politiques palestiniens quotidiens décrivent souvent directement le déplacement des Palestiniens à l’intérieur de la Cisjordanie, accompagnés d’un sentiment officiel et populaire de frustration quant à l’avenir, mais cette année, c’est différent, la frustration a atteint un point d’effondrement.

En quelques mois, la sécurité des Palestiniens, soumis à d’horribles attaques de colons, a été discutée par les organisations internationales.

Alors qu’un certain nombre de familles palestiniennes se cachaient cette nuit-là dans des pièces sombres, de peur d’être découvertes par les colons. Ce jour-là, a été diffusé un appel urgent à la communauté internationale : « Arrêtez les déplacements forcés en Cisjordanie ».

L’appel, diffusé le 29 octobre 2023, a suscité des réactions mitigées, lorsqu’il a été diffusé par l’organisation israélienne de défense des droits humains « B’Tselem ». Quelques jours avant l'appel, une famille d'éleveurs s'est installée dans la périphérie de Tubas après avoir été menacée de mort si elle continuait à rester.

Par conséquent, dit l’appel, la seule façon d’arrêter cette expulsion est « l’intervention de la communauté internationale ».

« Une chose terrifiante se déroule à l’est de la Cisjordanie ». C’était censé être une génération d’espoir pour les Palestiniens qui récolteraient les fruits des accords d’Oslo lorsqu’ils ont ouvert la possibilité de se débarrasser de l’occupation.

Depuis le début de l’année 2023, tout a changé pour Mohammed Abu Mutawa et les habitants de la région, et à la fin, une guerre a été déclenchée à Gaza et une guerre silencieuse en Cisjordanie, visant à faire changer la situation démographique dans l’est de la Cisjordanie.

L’exemple de ce à quoi sont confrontés les agriculteurs palestiniens le long de l’étroite vallée à l’est de la Cisjordanie, est la plus grande indication de l’effondrement des espoirs et de la perte de terres.

Ce jour-là, le 22 mai 2024, à midi, Mohammad Abu Mutawa a raconté la lutte quotidienne qu'il mène à proximité des sources, mais il ne perdait pas de vue ce qui pourrait se passer à l’extérieur si les colons retournaient soudainement aux sources d’eau.

Même si Abu Mutawa et d’autres agriculteurs tentent de cacher le fait qu’ils ont peur de l’avenir dans cette région, cela apparaît plus tard dans leurs conversations.

Les agriculteurs dans cette région avaient non seulement la détermination de produire les meilleures pastèques et autres légumes et fruits, mais ils avaient également l'ambition et l'expérience nécessaires pour introduire davantage de nouvelles cultures. Par exemple, Abu Mutawa a été courageux lorsqu'il a planté de vastes étendues de terre ces dernières années, mais actuellement son avenir agricole est bouleversé par des vents violents qui déracinent tout.

Les témoignages des gens semblent ici divisés en plusieurs parties : la première est la peur de l'expulsion, la suivante est la peur de l'attaque et la dernière partie est la peur des drapeaux israéliens.

« Colonisation du drapeau », est un processus se déroulant simplement quand les colons arrivent dans les zones pastorales ou dans les cours des maisons, placent d'abord un grand poteau avec le drapeau israélien dessus, et après un certain temps, ils clôturent la zone ou s'emparent d'une montagne ou d'une colline », comme a décrit le militant des droits humains Arif Daraghmeh.

À environ 15 kilomètres de Tubas, au nord de la Cisjordanie, de nombreux drapeaux apparaissent plantés dans des zones vides ainsi que dans les cours des maisons des citoyens.

Ces derniers jours, Daraghmeh a déclaré que les colons ont placé un drapeau sur une colline archéologique appelée Tell Al-Himma. Le processus de saisie des terres par le biais du drapeau est considéré comme l’un des exemples les plus clairs des grandes pertes que les Palestiniens perdent jour après jour leurs terres.

En fait, les citoyens palestiniens essaient de rester à l'écart des drapeaux israéliens installes sur leurs terres, de peur que le vent ne les renverse et qu'ils ne soient accusés d'en être la cause.

« À une occasion, un drapeau israélien est tombé à cause de vents violents, et les Palestiniens ont été accusés par des colonisateurs de l'avoir fait et menacés de mort et de destruction ».

Certaines collines qui existaient depuis la nuit des temps ont été nivelées et isolées avec des fils barbelés. La colline s'incurvait autrefois sur les côtés et vers l'arrière, mais elle est maintenant devenue plus plate. Les colons juifs ont encerclé la région année après année, effaçant les traces de la nature après des opérations de rasage au bulldozer qui ont duré des mois, puis ont construit d'immenses bâtiments.

Avec un mât de drapeau et un morceau de tissu, la géographie dans cette région est passée sous contrôle israélien, car les drapeaux israéliens ont été placés devant la plupart des communautés palestiniennes dans la région de Wadi al-Maleh.

Il était possible de voir ces drapeaux flottaient sans aucun Palestinien à proximité. A quelques kilomètres de là, à un carrefour qui relie deux routes principales, l'une menant à Naplouse et l'autre à Tubas, l'un des bergers a indiqué qu'il évite de passer devant le drapeau, de peur d'être accusé de l'avoir retiré. A quelques mètres de là, il y avait une source d'eau que les colons contrôlaient et où ils venaient lors d'occasions spéciales.

Si la scène d’aujourd’hui indique un contrôle absolu des colons dans cette zone, alors l’avenir des habitants de Wadi Al-Maleh est devenu incertain, car ils se posent tous la même question : où irons-nous lorsqu’ils nous expulseront ?

En peu de temps, et sur une distance qui peut être parcourue par une voiture roulant à vitesse moyenne en moins d'une heure, les changements qui se produisent rapidement sont visibles ici !

« Les nouveaux bâtiments coloniaux, zones palestiniennes contrôlées et clôturées quotidiennement, de petits sentiers seront construits pour les colons, et de relier les colonies aux nouveaux avant-postes, en plus de construire de nouveaux jardins ».

« C’est tout simplement l’âge d’or de la colonisation. »

Dans l’ombre de ce changement, de nombreux Palestiniens ont quitté leurs résidences et ont été déplacés soit à l’intérieur de la vallée elle-même, soit vers des zones proches des villes palestiniennes telles que Tubas, Ramallah et Jéricho. Les piliers fondamentaux de la présence palestinienne dans la vallée du Jourdain se sont clairement affaiblis.

Quatre colons se sont emparés d'une source près de la ferme du fermier Abu Mutawa, cette fois uniquement pour nager, et c'est de mauvais augure pour un avenir proche. Cela s'est passé en plein jour, ils sont arrivés, ont enlevé leurs vêtements et ont occupé la source pour la natation.  

« Une politique douce au début », a décrit le militant Daraghmeh en disant : « C’est ainsi que le harcèlement a commencé dans de nombreuses régions de l’est de la Cisjordanie jusqu’à la fin de la déportation de centaines de Palestiniens des abords des sources d’eau passées sous le contrôle des colons. »

Cependant, bon nombre de raisons qui ont perturbé les fondations des communautés pastorales stables depuis des années résultaient de décisions prises dans les bureaux officiels israéliens et dans les bases militaires, lorsque les bergers ont été invités à partir par décision judiciaire et militaire israélienne, ils n'ont eu que peu de temps pour exécuter les ordres militaires.

Au cours des nombreux mois de témoignages des Palestiniens devant les enquêteurs des organisations de défense des droits de l’homme, les opérations d’expulsion ont atteint leur apogée.

Les colons n'ont pas eu besoin de beaucoup de temps pour mener une quelconque attaque. En une heure ou plus, les colons provenant des colonies proches des villages, attaquent, brûlent et tirent et cette opération se termine avec des pertes matérielles dont les maisons, voitures et champs des habitants.

Plus personne ne veut dire aux représentations occidentales et aux visiteurs étrangers travaillant pour des organisations humanitaires internationales : « S’il vous plaît, aidez-moi ».

 L'un des bergers a déclaré au correspondant de WAFA : « Les Occidentaux viennent ici et rien ne change ».

Près de la frontière orientale, dans la région d'Al-Farisiya, qui se trouve dans la région de Wadi Al-Maleh, les agriculteurs ont fait preuve d'un scepticisme inhabituel à l'égard de toute position internationale susceptible de freiner les colons qui ont creusé une montagne au-dessus de leurs maisons et établi un nouveau quartier colonial.

« Dans une rue qui divise le quartier en deux parties, les signes de vie palestinienne s’estompent peu à peu. En fait, le degré de peur est le même parmi les gens, quelle que soit la distance qui les sépare des colonies ».

Les colons ne font plus la différence entre ceux qui vivent à proximité ou au loin, mais plus le Palestinien est proche de la source d'eau, plus le degré de danger est élevé.

Selon l’un des habitants : « Il existe ici de nouvelles règles de déplacement : « Si votre chien s’enfuit, ne le suivez pas ». Il s’agit de la restriction de leur liberté de mouvement par les colons.

Que s'est-il passé depuis octobre ici ? Notre correspondant a demandé à certains bergers dans des champs qui contiennent de la paille sèche et dont certains sont plantés de légumes ? Ils répondirent : Ils vivent les jours les plus difficiles.

Les colons sont arrivés ici il y a des mois et ont menacé de tuer quiconque resterait sur place. Le militant Aref Daraghmeh a déclaré que certaines familles sont parties et que d'autres sont toujours là.

Les colons sont allés jusqu'à menacer les habitants de massacre et de mort afin de les forcer à partir, comme ont rapporté les témoins. Les gens ici trouvent extrêmement difficile et craintif de révéler leur nom aux médias, de peur que les colons ne les persécutent.

L’histoire de la famille Abd Rabbo, composée de 7 individus : Musaab Abd Rabbo, 17 ans, vit et travaille avec sa famille ici, à Khirbet al-Deir, non loin des fermes Abu Mutawa.

Les Palestiniens sont retournés vivre dans ce village, qui est la communauté palestinienne la plus proche du Jourdain, il y a plus de dix ans, après que les forces israéliennes ont détruit le village en 1967 et aujourd'hui, 8 familles y vivent.

Musaab a déclaré : « Ce n'était pas la première tentative pour nous pousser d'ici. Mais c'était le début. » La famille Abd Rabbo possède un troupeau d'environ 300 moutons blancs.

Un après-midi du dernier tiers du mois de mai 2024, au plus fort des attaques quotidiennes en Cisjordanie, Musaab et son frère regardaient vers l'est, là où se trouvaient les pâturages les plus larges, et heureusement pour eux, ils n'ont pas vu de leurs propres yeux contrôler l'une des mares d'eau qui s'y trouvaient.

Lorsqu'on a demandé au jeune homme, qui a beaucoup de mal à organiser les événements, que vit sa famille sous la pression d'une tension extrême, quant à savoir s'il est libre de se déplacer sur une courte distance, a répondu par la négative.

Sur une route sinueuse et poussiéreuse entre champs de maïs et vergers d'agrumes, on voit une rangée de panneaux solaires détruits par les colons et étaient hors service.

Il y a deux mois, Musaab et deux de ses frères se trouvaient à 3 kilomètres de chez eux. Il y a des pâturages luxuriants et le printemps est à son apogée. Les colons et les soldats sont arrivés dans leurs voitures, criant et menaçant. Le troupeau de bétail a pris peur et s'est réfugié dans l'une des vallées qui s'est effondrée sur eux, tuant un certain nombre d'entre eux.

La terre ici est grise et molle. En été, des tornades se forment dessus et obscurcissent la vue, et en hiver, elle est sujette à l'érosion. En fait, la vitesse de l'effondrement est ici grande : le moral des gens, leur économie, leurs rêves et le sol sous eux se transforment en un espace de conflit quotidien.

Omar Fuqaha, chef du conseil du village d'Ain al-Bayda, le seul petit village agricole de Cisjordanie situé derrière la route appelée « Route 90 », a attiré l'attention sur les horribles changements qui se produisent autour de son village.

« La peur l'emporte », a-t-il déclaré. Lorsqu’on lui demande si la peur de l’avenir pousse les gens à fuir, il répond par l’affirmative. « C'est leur plan d'attaque. » L'Aïn al-Bayda connaît les plus grandes zones de contact géographique avec les colons, avec un développement continu de ses installations, rues et bâtiments publics.

 Omar nous a conduits à l'école du village et nous a montré la clôture des terres agricoles contrôlées par les colons et le mur extérieur des salles de classe.

Le correspondant de WAFA a analysé un certain nombre de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, les groupes WhatsApp ou autres, détenues par des enquêteurs des droits de l’homme, et a eu des conversations avec un certain nombre de citoyens palestiniens agressés.

« Certains ont dit qu'il avait perdu ses biens personnels, et d'autres ont menacé de le tuer s'il ne partait pas, et certains d'entre eux sont restés à leur place et ne sont pas partis autant que possible. Cela ne signifie pas que ceux qui ont été attaqués sont restés volontairement à leur place, mais ils n’ont pas encore trouvé un endroit convenable pour eux ».

Dans la nuit du 28 mai 2024, des colons ont de nouveau infiltré Al-Farisiya, et la cible n'a été connue qu'à la tombée de la nuit. Dans la matinée, Shamekh Daraghmeh n’a pas retrouvé son réservoir d’eau, il l’a donc signalé voler. Quelques heures plus tard, un militant des droits humains a pris une photo du réservoir à l’intérieur de la ferme d’un colon, à des dizaines de mètres du lieu du vol.

Les habitants de la vallée du Jourdain utilisent des appareils de communication et d'Internet pour s'avertir mutuellement au plus fort des attaques. La disponibilité de ces appareils permet d'être averti rapidement d'une attaque de colon, ce qui leur évite de nombreux dégâts quotidiens.

Les colons armés, dont certains ont obtenu des armes grâce à une décision officielle israélienne imposée par le ministre israélien Itamar Ben Gvir, ont immédiatement commencé à détruire et à saboter tout ce qui se trouvait devant eux, y compris les fermes et les granges, ainsi des logements de luxe au cœur de la Cisjordanie, comme cela s’est produit dans les villes de Turmus Aya et Al Mughayyir, près de Ramallah.

Au cours des mois suivants, les milices coloniales ont incendié des milliers d’acres de terres agricoles, détruit des véhicules et contraint des centaines de Palestiniens au déplacement. Quant aux colons armés, dont beaucoup sont regroupés dans des colonies au centre et dans certaines parties de la Cisjordanie, ils n’ont pas laissé passer l’occasion de voler les terres.

Lorsque les colons ont visiblement envahi les bases agricoles et urbaines après le 7 octobre 2023, Abdul Rahman Al-Kaabneh s’est retrouvé à vivre un cauchemar.

C'est un miracle de voir comment le clan Kaabneh a survécu à l'attaque majeure contre son village, Wadi Al-Seeq. Le 12 octobre 2023, un dénouement tragique se préparait pour le sort des habitants de la communauté.

Le malheur, comme l'a décrit Abd al-Rahman al-Kaabneh, est tombé sur ce village. À 12h30, les habitants du village ont été informés via un message publié sur les réseaux sociaux hébreux qu'il existe une intention d’attaquer Wadi Al-Seeq.

À ce moment-là, nous avons été confrontés à la sombre vérité : « Partez d’ici. Ils sont immédiatement arrivés au village et ont menacé de nous massacrer et de commettre un massacre majeur. Ils ont emmené les femmes et les enfants à la périphérie du village de Ramon. »

La nuit suivante, nous avons vécu un enfer. Ils nous ont attaqués de toutes parts, les colons et l'armée, et ils ont battu tout le monde. Tout le monde a été battu. »

Wadi Al-Seeq est une communauté agricole et pastorale composée de trois quartiers situés entre Ramallah et Jéricho. Cette nuit-là, les trois quartiers ont été attaqués et les habitants du village, qui vivent aujourd'hui à la périphérie du village de Ramon, ont été expulsés.

H.A/ F.N

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